Isräel Mensah, originaire du Bénin, est vice-président de la Conférence d'OING du Conseil de l'Europe et Jean-Claude Gonon est coordinateur du groupe de travail "Europe-Médierranée" qui s'occupe des réfugié.e.s

 

 

Cher Jean Claude,

J’ai lu avec beaucoup d’attention ton texte introductif sur « Migrations et éducation ». J’adhère aux réflexions développées d’une manière générale dans le document.

Il est question, actualité oblige, aujourd’hui de « Migrants » et de « Réfugiés » dans les deux cas de figure se pose la question de leur accueil, en tant que personnes humaines fuyant la guerre ou la famine. Leur accueil doit être organisé dans tous les domaines de la structure sociale.

Pour le secteur éducatif, qui nous préoccupe, en effet l’enseignant a un rôle important à jouer dans le projet de la construction d’une société européenne inclusive telle que les institutions européennes nous y invitent. Je suis d’accord avec les différents points d’attention que tu as énuméré comme des éléments nécessaires voire incontournables qui peuvent rendre féconde cette éducation inclusive : des points qui impliquent une véritable rencontre et un vrai dialogue de nos diversités.

Dans cet accueil, se pose aussi la question de l’intégration. Quelle forme voulons-nous que prenne cette intégration ?

  1. Assimilation ?

  2. Communautariste ?

  3. Inter culturelle ?

L’échec des deux premières formes ou leurs limites, crée une phobie parfois justifiée des populations européennes et nourrit le lit des discours d’idéologies populistes et nationalistes.

A partir de ma propre expérience voici les réflexions qui nourrissent mes actions éducatives et associatives y compris au sein de la Conférence des OING du Conseil de l’Europe.

Le piège de l’identité

 

Submergé par la richesse matérielle et par une multitude de ressources culturelles et physiques, distrait par d'innombrables stimuli, l'individu contemporain perd de vue la dimension relationnelle de sa vie, et se trouve ainsi pris au «piège de l'identité», où l’individu érige un mur entre son espace personnel et les autres1. C’est le constat que font nos ONG confrontées à ce type de société aujourd’hui.

Il est donc important pour nous de nous saisir de ces réflexions pour comprendre la racine des problèmes de nos sociétés et être capables de fournir des réponses appropriées par notre intervention. En effet, le « piège de l’identité » se répercute sur les relations interculturelles comme sur toute autre forme de relation, déclenchant de l’intolérance, de l’exclusion ou bien des tentatives d’assimilation forcée à l’égard de ceux qui sont perçus comme « extra-culturels ».

A l’opposé, cette distance que l’on interpose entre nous et les autres peut aussi nous emmener à voir la différence « exotique » de l’autre comme un objet d’admiration ou même d’auto-assimilation. Cette attitude banalise la culture de l’autre, en la réduisant à des stéréotypes : elle est donc tout aussi dangereuse que la précédente.

Il y aussi l’attitude paternaliste, ou on est bon avec l’immigré pour notre conscience et par notre générosité réelle mais pas toujours juste avec l’immigré parce que ce n’est qu’un immigré. Le traitement des anciens combattants des deux grandes guerres (entre les Français et ceux des Africains) n’a pas été pendant longtemps le même après la victoire.

Une identité relationnelle et plurielle

Ainsi, la perception de l’autre comme étranger, extérieur, lointain, joue beaucoup dans le malaise qui caractérise les relations interpersonnelles et interculturelles dans nos sociétés occidentales. Milan remarque que le problème a sa racine dans la conception contemporaine de l’identité de la personne, dont la dimension relationnelle a été exclue. La relation avec l’autre est une composante fondamentale de l’identité de la personne essentielle pour son épanouissement. Il faut donc récupérer une conception de l’identité comme identité relationnelle, plurielle et en dialogue, qui fait de l’autre une présence importante, bien que distincte, à l’intérieur de mon espace existentiel2.

C’est seulement en récupérant cette conception de l’identité que l’on pourra surmonter le « piège de l’identité » et accéder à une véritable perspective interculturelle. Cette vision inclusive de l’identité de la personne nous paraît un point de départ essentiel et une conception qui doit sous-tendre toute action visant à promouvoir le dialogue interculturel.

Cette conviction nous conduit à soutenir les orientations du Guide du Conseil de l’Europe « La Cité interculturelle pas à pas » qui promeut l’approche interculturelle3 comme moyen de gestion de la diversité. Il identifie la cité, la ville, comme le contexte par excellence dans lequel développer des solutions créatives pour l’inter culturalité. Nous partageons cette approche qui vise à faire de la ville un espace de relations interculturelles qui soient avant tout des rencontres interpersonnelles. Son potentiel, en tant qu’espace de socialisation, dans lequel les cultures et les personnes peuvent se rencontrer et évoluer à travers l’enrichissement mutuel, est indéniable. C’est la valeur ajoutée de l'approche interculturelle par opposition aux approches traditionnelles de la gestion de la diversité: tout en soulignant la nécessité de permettre à chaque culture de survivre et prospérer, celles-ci ne peuvent se développer qu’en entrant en contact avec d'autres cultures, et pas dans l'isolement. L'accent est donc mis sur le renforcement de l'interaction interculturelle comme un moyen pour renforcer la confiance et le tissu communautaires, tout en essayant de minimiser la consolidation de groupes définis par l’ethnicité.

La cité interculturelle a une population diverse, composée de personnes qui diffèrent par la nationalité, l’origine, la langue ou les croyances. C’est le cas de chacune de nos métropoles. Dans le modèle de cité interculturelle idéale, que présente le guide et que soutiennent les ONG, la plupart des habitants considèrent la diversité non comme un problème, mais comme un atout. Ils reconnaissent que toutes les cultures s’enrichissent dès lors qu’elles se rencontrent dans l’espace public. Cette ville souhaitée combat les préjugés et la discrimination. Elle veille à l’égalité des chances en adaptant ses structures de gouvernance, ses institutions et ses services aux besoins de tous ses habitants, sans compromettre les principes des droits de l’homme, de la démocratie et de la prééminence du droit.

Comment promouvoir ces politiques de gestion de la diversité dans la pratique ?

Ici encore, nos observations rejoignent celles du Guide :des événements organisés pour favoriser le dialogue interculturel tout en étant encadrés en termes ethniques (par exemple un festival dédié à une minorité spécifique) ont, paradoxalement, tendance à mener à une diminution de la participation de la communauté. Ils ne parviennent pas à améliorer les relations interculturelles.

Ceci se produit parce que ce genre d’événements a tendance à promouvoir l'idée que les communautés auxquelles ils sont dédiés sont des cultures « autres » Ils finissent par renforcer les distinctions et les barrières culturelles plutôt que de les affaiblir (ce qui rejoint le problème du « piège de l’identité »).

Pour ces raisons, il est important que toute action pour la gestion de la diversité soit fondée sur une perspective non-ethnique.

En effet, l’accent de ces politiques et pratiques devrait plutôt être mis sur la promotion des rencontres. Ces rencontres peuvent se dérouler de manière informelle, dans des cadres de vie quotidienne tels que les églises, les activités sportives, les écoles, les cafés, les rues et toutes sortes d’endroits en milieu urbain. Ce sont bien« les milieux sociaux que les gens habitent dans leur vie quotidienne »4. Nos ONG en sont l’acteur et le lieu privilégié.

Agir sur ces milieux comme point de départ pour la construction de la cité interculturelle signifie agir sur les cercles relationnels les plus immédiats des gens, ceux à travers lesquels les personnes se définissent et s’épanouissent dans leur vie de tous les jours. C’est dans ce sens-là que devrait être interprétée la disposition du Guide selon laquelle la priorité des politiques et des actions pour l’inter culturalité devrait être de « favoriser les rencontres (formelles et informelles) et de mobiliser les citoyens sur des questions d’intérêt commun qui transcendent les clivages ethniques et sociaux »5.

Nos ONG ont cette faculté de présence au quotidien. Elles peuvent être le moteur d’actions pour la promotion de l’inter culturalité sur ce modèle. La société civile organisée joue à cet égard un rôle de premier plan. Nous reconnaissons donc notre responsabilité dans la promotion du dialogue interculturel authentique, qui passe d’abord par un renforcement du lien social.

Ce lien social, cet esprit de communauté, peut être ravivé en saisissant les innombrables possibilités qui s’offrent dans une ville pour travailler en commun pour le bien de tous. C’est ainsi que nous travaillerons la mise en confiance et à la reconstitution de la personne, à son accomplissement dans la dimension de la relation. La personne qui se projette dans l’engagement social peut en effet devenir, à son tour, acteur de la construction du réseau communautaire et de la cité interculturelle.

Pour que les citoyens s’engagent dans un tel processus, il est essentiel de pouvoir les sensibiliser dès l’enfance à l’inter culturalité et à la socialité. L’éducation à la cité interculturelle doit être fondée sur le « principe de socialité6 », sur la reconnaissance fondamentale de la dimension interpersonnelle pour le développement de la personne et de son identité.

Exemple de bonne pratique que l’enseignant que je suis essaye de développer pour un meilleur accueil de l’immigré et son intégration.

Mémoires d’Afrique

A travers les contes qui ont traversé d’innombrables générations L’'association franco béninoise, Mémoires d'Afrique, que j’ai créée, a cette mission de restitution de l’histoire identitaire des Africains de France et, ce faisant, une mission de passerelle entre les deux continents.

C’est ainsi que l’association collecte et publier des contes traditionnels du Bénin, recueilli par des jeunes auprès des anciens, afin de protéger ce patrimoine. La volonté de l’association n’a pas été de magnifier la particularité éthique de contes mais au contraire de les mettre en regard de contes français, permettant ainsi aux jeunes béninois vivant en France de fusionner leur double identité culturelle. L’association a publié un livre intitulé «Contes croisés. Quand l'Afrique et l'Europe se répondent ». Il met en regard des contes traditionnels du Bénin et de textes classiques français, axés sur des thèmes centraux communs (jalousie malfaisante, orgueil puni, bienfaits récompensés, …), et permet un dialogue enrichissant entre les deux traditions. L'association a commencé une collaboration avec une école locale, l’école Saint-François, qui mènera les enseignants à adopter le livre dans le cadre de leur programme scolaire et donc à l'aborder en classe avec les élèves. Lors de la première rencontre autour du livre, les élèves se sont montrés curieux et positifs face à l'apprentissage d'une tradition différente et à la comparaison avec les leurs. L'association travaille actuellement avec l’école à l'organisation de la deuxième édition de la « Nuit des Contes », au cours de laquelle les contes seront présentés par les élèves sous forme de pièce de théâtre.

Dans le cadre de cette collaboration, en outre, un atelier d’écriture de contes sera réalisé, à l’issue duquel les élèves produiront un conte collectif autour du thème « Quand l’Afrique et l’Europe se répondent ». L'association cherche actuellement à rentrer en contact avec les bibliothèques de plusieurs villes de la région parisienne pour l’organisation d'évènements comme des lectures de contes, visant la participation d’un public de tous les âges. Grâce à son travail, Mémoires d'Afrique vise à aider les élèves (et le public en général) « s'ouvrir à l'autre et à sa différence », une compétence qui, disent-ils, est nécessaire non seulement dans des situations interculturelles, mais dans la vie de toute communauté humaine : la famille, le quartier, l'entreprise, la nation. Afin d'éviter les stéréotypes ou l'exaltation des différences «exotiques», l’association vise à promouvoir le dialogue interculturel à travers la réciprocité: accueillir une personne dans sa différence n’est possible que si celle-ci sait se rendre disponible à la spécificité de celui qui l’accueille. Les spécificités de chacun sont la base de l’échange : mieux on se connaît, mieux on peut s’ouvrir à l'autre. En même temps, l'expérience de l'association a mené à la réalisation que toutes les cultures, malgré leurs différences, partagent les mêmes aspirations à certaines valeurs communes (la paix, la justice, la vérité, le bonheur) et la même préoccupation pour les questions fondamentales de l’existence humaine, comme le sens de la vie et de la mort.

Il est indéniable que l’éducation prépare à la citoyenneté. Et, puisque la diversité est devenue une partie de notre quotidien, l’éducation à la vie active doit être aussi éducation au dialogue interculturel. Tous les citoyens doivent être équipés de compétences opérationnelles, communicatives et sociales pratiques (compétences linguistiques incluses) afin de prendre part active à la vie sociale, économique et politique de leur ville. Comment mettre cela en pratique ? Comme nous le suggère le Guide du Conseil de l’Europe, le développement de ces compétences devrait faire l’objet de stratégies de formation complètes, impliquant non seulement les programmes scolaires mais aussi des programmes destinés aux parents et aux enseignants, ainsi qu’à d’autres opérateurs de la cité interculturelle.



Israël Mensah

Doctorat D’Etat en théologie Catholique. Spécialité en Morale Politique

Licence de Philosophie Paris/Sorbonne

Président/Fondateur de l’association « Mémoires d’Afrique »



Références :

- Conseil de l’Europe (2008), Livre blanc sur le dialogue interculturel « Vivre ensemble dans l’égale dignité », Strasbourg: Publications du Conseil de l’Europe.


- Milan G. (2008), “Le stanzette e l’utopia: Combattere il rimpicciolimento ospitando la città”, in Gasperi E. (ed.), Dar luogo ai luoghi. La città cantiere di interculturalità, Padua: Cleup.

- Triandafyllidou A., Modood T., Meer N., eds. (2011), European Multiculturalisms: Cultural, Religious and Ethnic Challenges, Edinburgh: Edinburgh University Press.

- Conseil de l’Europe (2013), La cité interculturelle pas à pas. Guide pratique pour l’application du modèle urbain de l’intégration interculturelle, Strasbourg: Publications du Conseil de l’Europe.

1 Milan

2 Milan

3 Le guide s’inspire de l’expérience acquise dans le cadre d’un programme pilote de trois ans lancé par le Conseil de l’Europe et la Commission européenne, intitulé « Cités interculturelles », visant à développer une approche interculturelle de l’intégration. La modélisation du processus complexe du programme ne vise pas à donner une formule « toute faite » où la séquence des événements et procédures est rigoureusement déterminée à l’avance, mais a pour objectif de donner de simples suggestions sur la manière de procéder, tout en encourageant chaque ville à trouver sa propre trajectoire de développement (Guide, p. 19).

4 Milan

5 Guide pp. 30-31.

6 Milan