Texte écrite et présentée par Mme. Marie-José Schmitt dans la journée d'étude de la 26ième rencontre annuelle du Réseau européen Eglises et Libertés  EN-RE à Strasbourg le 26 mai 2017

La Charte Sociale Européenne


La constitution sociale de l’Europe


Droits économiques, sociaux et culturels en Europe


Rappel du contexte historique dans lequel la Charte Sociale Européenne a été élaborée, ensuite révisée et actuellement appliquée.


1948 Déclaration des droits de l’homme , accord non contraignant sur l’ensemble des droits civils, sociaux, économiques et culturels dans le contexte du «  plus jamais çà »


1949 Création du Conseil de l’Europe (Coe) sur la base de 3 principes : droits de l’homme, démocratie, état de droit Urgence : le droit à la vie (long chemin depuis l’article 2 jusqu’au protocole de Vilnius en 2002)


1951 Convention Européenne des Droits de l’homme (droits civils) dont le droit à la vie (article 2), l’interdiction de la torture ( article 3), interdiction du travail forcé ( art 4), droit à la liberté et à la sécurité ( article 5)  et ces droits sont assortis de certaines libertés ( liberté d’expression, liberté d’association)


Création de la Cour Européenne des droits de l’homme. Dans le contexte il s’agit de se doter d’une juridiction commune, supérieure à celle de chacun des Etats, à laquelle tout citoyen d’un des Etats fondateurs peut se référer. C’est une démarche capitale d’acceptation d’une forme d’ingérence, de soumission à une justice supérieure dont on attend qu’elle garantisse les droits de l’homme


Rôle important du BIT (Bureau international du travail) dans l’organisation du travail dans une Europe en ruine et soutenue financièrement par le Plan Marshal. Les Etats fondateurs du Coe décident de se doter d’un instrument juridique contraignant en matière de droits sociaux liés au travail. Ce sera la Charte sociale européenne.


1961 à Turin, ouverture à la signature de la Charte Sociale Européenne avec les articles 1 à 19. ( lecture des titres des articles) Ce traité accompagne la reconstruction de l’Europe, l’organisation du travail, la base d’une harmonisation du droit du travail d’autant plus nécessaire qu’en 1957 s’est crée la Communauté Economique Européenne à Bruxelles avec un début de liberté de circulation des travailleurs dans les Etats signataires.


Le contexte change, la pression de l’après-guerre diminue, l’économie prospère. 1988 protocole additionnel avec les articles 20,21, 22 et 23
Mais déjà se font sentir les effets du premier choc pétrolier : groupes de population en difficulté, premiers licenciements collectifs  d’où projet de révision de la Charte pour garantir les droits sociaux des travailleurs licenciés, et les droits à la consultation des travailleurs dans les entreprises. La révision permet aussi d’inclure deux nouveaux droits pour la population en général ( article 30 et 31) ainsi qu’une extension de l’article 15.


En même temps que se met en œuvre l’application de la Charte Sociale Européenne, le Comité des Ministres souligne dès 1990 et depuis lors de manière constante, le caractère indivisible des droits civils, sociaux, économiques et culturels.


Après 1990, alors que la future Charte révisée est en cours d’élaboration le contexte européen change et cela se traduit par une forte augmentation du nombre des Etats membres du Conseil de l’Europe.

1995 Protocole additionnel prévoyant la procédure de réclamation collective.

1996 Ouverture à la signature de ce nouveau traité qui comporte à présent 31 articles. Intensification du volet social.

2006 Crise financière qui devient une crise économique

2014 : Le Coe convoque une réunion de haut niveau à Turin pour attirer l’attention des Etats sur l’application des droits économiques et sociaux en temps de crise et d’après-crise. L’UE y participe. Processus de Turin

Contribution de la Conférence des OING attirant l’attention sur les articles 30 et 31

2016 : Le SG rappelle que la Charte Sociale Européenne est la constitution sociale de l’Europe.

Situation actuelle 45 Etats ont signé la Charte et 43 l’ont ratifiée ( dont 9 ne sont pas encore engagés dans la Charte de 1996 ), 15 Etats ont signé et ratifié le protocole additionnel instaurant la procédure de réclamation collective.

Sont encore signataires de la Charte de 1961 la Croatie, la République Tchèque, le Danemark, l’Islande, le Luxembourg, la Pologne, l’Espagne, le RU.

Position particulière de l’Allemagne qui est encore liée par la Charte de 1961 mais a signé la Charte de 1996, sans toutefois l’avoir ratifiée.

Les particularités du traité

Sa structure

Les modalités d’adhésion

Le suivi de l’application des engagements

La structure du traité

Partie 1 énoncé des droits

Partie 2 obligations découlant de chacun des droits «  en vue d’assurer l’exercice effectif du droit à … » Après l’affirmation formelle des droits la Charte décline les obligations qui doivent et devront en découler. (obligation de moyens)

Partie 3 Les engagements que les Etats doivent prendre

Partie 4 Le suivi

Partie 5 dispositions diverses dont Article V non-discrimination et un article sur les relations de la Charte avec le droit interne et les autres conventions internationales

Partie 6 Les modalités d’adhésion.

Les modalités d’adhésion

La Charte Sociale Européenne a été conçue comme un outil évolutif permettant aux Etats de choisir les dispositions qu’ils acceptent comme étant des obligations de droit international qu’ils s’engagent à mettre en œuvre en fonction de leur progression économique, (de leur reconstruction). Ainsi, tout en les incitant explicitement à accepter progressivement toutes ses dispositions, la Charte permet aux Etats, au moment de sa ratification, d’adapter leurs engagements au niveau de protection des droits sociaux, atteint dans leur pays, en droit et/ou en pratique.


Il est cependant obligatoire de signer et de ratifier un certain nombre d’articles qui constituent ce qu’on appelle le «  noyau dur »
Pour les signataires de la Charte de 1961 il fallait accepter au moins 6 des 9 articles du noyau dur ( 1.5.6.7.12.13.16.19 et 20) ainsi qu’un nombre supplémentaire d’articles ou de paragraphes , à choisir pourvu que le nombre total ne soit par inférieur à 10 articles ou à 45 paragraphes numérotés.


En ratifiant la Charte dans sa version de 1996, les Etats doivent accepter un minimum d’obligations (16 articles – dont au moins six articles des neuf articles de son « noyau dur » – ou 63 paragraphes


Il est intéressant de savoir que l’article 1er (droit au travail) a été accepté par 43 Etats, l’article 5 (droit syndical) par 42 Etats, l’article 6 (droit de négociation collective) par 41 Etats, l’article 7 (droit des enfants et des adolescents à la protection) par 41 Etats, l’article 12 (droit à la sécurité sociale) par 39 Etats, l’article 13 (droit à l’assistance sociale et médicale) par 25 Etats, l’article 16 (droit de la famille à une protection sociale, juridique et économique) par 38 Etats, l’article 19 (droit des travailleurs migrants et de leurs familles à la protection et l’assistance) par 34 Etats et l’article 20 (droit à l’égalité des chances et de traitement sans discrimination liée au sexe en matière d’emploi) par 38 Etats1.
Certains Etats ont tout ratifié comme l’Espagne engagée jusqu’à l’article 23, la France et le Portugal pour la version complète de la Charte, celle dite Charte révisée.


D’autres n’ont pas ratifié certains articles ou paragraphes. Il est utile de savoir ce qu’un pays n’a pas encore ratifié car cela peut donner des occasions de rappeler à cet Etat qu’il serait urgent de compléter ses ratifications sur tel ou tel point précis.
Il est évident aussi qu’on ne peut arguer de non-application de la Charte que dans la mesure où le pays a ratifié l’article ou le paragraphe concernant le droit en question.


Le suivi de l’application


Le suivi est assuré par le Comité Européen des Droits Sociaux (CEDS), un organe juridique composé de 15 juristes élus par le Comité des Ministres parmi les candidats proposés par les Etats.

Ce Comité a 2 tâches principales:

Assurer la lecture des rapports annuels des Etats qui portent chaque année sur 1 quart des articles de la Charte Les Etats qui doivent répondre à une réclamation collective sont dispensés de la rédaction annuelle de ce rapport complet et feront un rapport prévu dans un format simplifié.

Traiter les réclamations collectives

Dans les deux cas le CEDS rédige des Conclusions qui sont remises au Comité des Ministres qui peut faire une recommandation à tel ou tel Etat (votée à la majorité des 2/3) lui demandant de modifier son droit ou ses pratiques en conséquence de la non-conformité constatée. Il peut fixer un délai pour cela et il appartiendra au CEDS de veiller à l’application de cette recommandation.

Les rapports annuels

Le CEDS doit décider, à la lecture de ces rapports, si les situations nationales qui y sont exposées sont conformes ou non à la Charte. Cette tâche devenait trop lourde autant pour les Etats obligés de faire un rapport annuel sur tous leurs engagements concernant la Charte que pour le CEDS qui se trouvait avec des rapports trop longs. Il en a résulté une vision strictement limitée à l’examen de la conformité du droit sans laisser aucune place aux pratiques. ( ex article 16 : le droit de la famille à une protection sociale, juridique et économique)

En 2006 le CM a décidé de simplifier les rapports en instaurant un cycle de 4 ans dans lequel les 31 articles sont répartis selon 4 groupes thématiques

Les quatre groupes de dispositions sont les suivants :

  • Groupe 1 : Emploi, formation et égalité des chances / article 1 - article 9 - article 10 - article 15 – article 18 - article 20 - article 24 - article 25
  • Groupe 2: Santé, sécurité sociale et protection sociale / article 3 - article 11 - article 12 - article 13 - article 14 - article 23 - article 30
  • Groupe 3: Droits liés au travail / article 2 - article 4 - article 5 - article 6 - article 21 - article 22 -article 26 - article 28 - article 29
  • Groupe 4: Enfants, familles, migrants / article 7 - article 8 - article 16 - article 17 - article 19 - article 27 - article 31

 

Actuellement ce sont les articles du groupe 4 qui seront examinés à partir d’octobre. Les conclusions du CEDS seront établies pour juin 2018 et soumises au Comité gouvernemental ainsi qu’au Comité des Ministres

Puis en 2018 se sont les articles du groupe 1 ( leur mise en œuvre depuis 2015) qui feront l’objet du rapport etc.

Les rapports des Etats doivent (en principe) être soumis aux principaux syndicats de salariés et d’employeurs du pays qui peuvent y ajouter leur avis avant remise du rapport au secrétariat de la Charte qui l’enregistre et le transmet au Comité Européen des Droits Sociaux. Ces rapports figurent ensuite sur le site de la Charte. Il a été demandé aux OING de donner, elles aussi, un avis sur ces rapports, mais la tâche est d’autant plus difficile que ces documents sont écrits en anglais ou en français, mais pas dans la langue du pays ce qui rend difficile d’impliquer les ONG nationales qui seraient seules capables de donner un avis fondé sur leur expérience. Nous nous contentons alors de donner un avis d’ensemble sur l’un ou l’autre article dont nous connaissons l’application ou la non-application dans l’un ou l’autre pays ou dans l’ensemble en Europe ( pauvreté, accès au logement, handicap) Cet avis est remis au CEDS et aussi, une fois par an au Comité gouvernemental réunissant les représentants des 47 Etats pour examiner et entériner ( ou non) les conclusions du CEDS pour chacun des Etats. C’est une sorte de contrôle par les pairs.

Pour cette année 2017, le Comité gouvernemental examinera les conclusions concernant le Groupe 3 ( droits liés au travail) et nous envisageons d’y faire un rapport sur le chômage des jeunes, sur la base des échanges avec des jeunes au cours de la journée du 17 octobre 2016 et aussi sur l’article 4 droit à une rémunération équitable en particulier en ce qui concerne les travailleurs saisonniers. Mais là nous manquons de données.

Nous prendrons contact avec la FEANTSA pour préparer un document concernant l’article 31 droit au logement prévu au Groupe 4 pour le CEDS. Toute autre contribution serait la bienvenue. A propos de l’article 19 la Conférence devrait étayer un appel à élargissement des dispositions de cet article à tout travailleur migrant pas seulement à ceux qui «  résident légalement sur leur territoire » ce qui exclut tous les migrants en cours de régularisation.

Comme le comité gouvernemental examinera les conclusions sur ces mêmes articles en 2018 il faudrait aussi préparer une communication sur l’art 31 et l’art 19 pour une des sessions de ce Comité.

C’est à la demande du CEDS que depuis une dizaine d’années nous essayons d’apporter des informations sur «  l’exercice effectif » de chaque droit, pour reprendre les termes de la Charte, des informations sur ce que vivent les gens, sur la réalité de l’application du droit national, sur les mesures pratiques permettant l’accès aux droits. ( Sylvie au comité gouvernemental)

Les réclamations collectives (après-midi)

MJS mai 2017