Par Juan José Tamayo [1]

Note de Hugo Castelli: Juan José Tamayo, es Secretaire de la Asociación de Teólogas y Teólogos Juan XXIII, un groupe membre de Redes Cristianas qu'à son tour est affiliée á EN-RE

En Amérique latine, aux États-Unis et en Europe, nous assistons à la progression d'organisations et de partis politiques d'extrême droite, qui forment un réseau parfaitement structuré et coordonné à l'échelle mondiale, organiquement lié à des groupes religieux fondamentalistes, en particulier des évangéliques, pour constituer ce que Nazaret Castro appelle « l'Internationale néofasciste » et que je qualifie d '« Internationale chrétienne néofasciste ». Cela se produit dans les différentes religions et églises, y compris l'Église catholique, pendant le pontificat réformateur du pape François, qui a ses adversaires au sein de la Curie romaine et dans un secteur important de l'épiscopat mondial.

L'un des exemples les plus emblématiques de cette Internationale en Espagne est la complicité et l'harmonie totale avec HazteOír (Faites-vous entendre), l'organisation catholique espagnole de l'idéologie ultraconservatrice, et VOX, le parti politique espagnol, que l'Osservatore Romano - l'organe officiel du Vatican - qualifie de « formation politique d'extrême droite » tandis que le cardinal espagnol Antonio Cañizares la définit comme de droite et totalement constitutionnelle. HazteOír s’est servi de sa plate-forme pour promouvoir et vulgariser Vox dans les médias à ses débuts en tant que parti politique et a décerné des prix à Santiago Abascal et à d'autres dirigeants du même parti. Parallèlement, Vox a fait entrer des membres affiliés à HazteOír dans les parlements autonomes espagnols, les municipalités et le Congrès des députés (le Parlement espagnol).

En Colombie, les accords de paix ont échoué parce que

les fondamentalistes évangéliques et les catholiques purs et durs ont fait campagne contre eux en alléguant qu'ils défendaient le mariage pour tous, l'avortement et l'homosexualité. Au premier tour des récentes élections du Costa Rita, le vainqueur a été le pasteur évangélique avec un discours en faveur des « valeurs chrétiennes » et du néolibéralisme, contre l'avortement et le jugement de la Cour interaméricaine des droits de l'homme favorable au mariage entre personnes de même sexe.

Au Brésil, les fondamentalistes évangéliques ont été décisifs dans la destitution de Dilma Rousseff et dans l'élection de l'ancien soldat Jair Messias Bolsonaro à la présidence du pays. Ce sont eux qui inspirent et légitiment vraiment ses politiques déclarées homophobes, sexistes, xénophobes et anti-écologiques.

Le gouvernement du Salvador semble suivre une trajectoire similaire. Lorsque le président de la République, Nayib Bukele, est entré en fonction, il a invité le pasteur évangélique argentin Dante Gebel, connu pour ses liens avec des pasteurs ultraconservateurs comme Cash Luna, à réciter une prière. Le membre du Parti Conciliación Nacional, Eileen Romero, a présenté une motion pour décréter la lecture obligatoire de la Bible dans les écoles.

En Bolivie, l'armée et les groupes religieux fondamentalistes ont organisé un coup d'État contre Evo Morales, le président légitime de la République plurinationale, qui a placé les communautés indiennes au centre de ses politiques sociales, culturelles et économiques et sur les cartes du monde. Ils l'ont fait avec la Bible et le Crucifix pour légitimer leur putsch, laver les morts causées par le coup d'État, christianiser confessionnellement leurs politiques, nier l'identité des communautés indiennes, justifier la répression à leur encontre et discréditer leurs cultes religieux, les qualifiant de « sataniques ».

À la suite de ces événements qui ont eu lieu dans différents pays, nous devons parler d'une alliance fasciste chrétienne-biblique-militaire-néolibérale-patriarcale qui coordonne les actions sur tous les continents et spécialement en Amérique latine et qui utilise effrontément le nom du Christ. Et qui le fait avec d'excellents résultats : elle renforce les gouvernements autoritaires, renverse les présidents élus démocratiquement, mène des coups d'État, emprisonne ses opposants politiques, légitime le néolibéralisme comme religion monothéiste du marché et s'oppose à l'approbation de lois défendant les droits sexuels et reproductifs des femmes.

Nous sommes confrontés à une manipulation grossière de la religion et à une perversion du sacré pour soutenir le discours de haine et les pratiques des partis d'extrême droite partout dans le monde, ce qui ne ressemble en rien à l'orientation libératrice et égalitaire des origines du christianisme.

Le néofascisme chrétien se nourrit de la haine, grandit et en jouit et promeut la haine parmi ses adeptes et prétend l'étendre à tous les citoyens. Dans son livre, La obsolescencia del odio,

(L'obsolence de la haine), l'intellectuel pacifiste, Günther Anders la définit comme « l'affirmation de soi et la constitution de soi au moyen de la négation et de l'anéantissement des autres ». Ce modus operandi est en contradiction directe avec la plupart des religions, en particulier le christianisme, avec son pardon et son amour pour le prochain et aussi pour les ennemis, et le renoncement à la vengeance comme dans « œil pour œil, dent pour dent ».

Cette haine se traduit par une série de déclarations dogmatiques et agressives sur : « la théorie du genre » qu'ils appellent avec mépris « l'idéologie du genre » ; le féminisme, défini comme « le nazisme féminin », « l'œuvre du diable » ; les programmes scolaires sur l'éducation sexuelle qui est interdite avec l'étiquette « Ne plaisante pas avec mes enfants » ; la violence de genre, en niant les preuves des milliers de féminicides qui ont lieu partout dans le monde ; les LGBTQI ; le mariage pour tous et l'homosexualité ; l'interruption volontaire de grossesse et la dénonciation de ceux qui la pratiquent ; les individus et groupes de migrants, réfugiés et personnes déplacées.

L'Internationale chrétienne néofasciste exige, par ailleurs, le renforcement de la famille patriarcale, insiste sur la soumission féminine, nie dogmatiquement le changement climatique et s'oppose aux mesures pour le combattre, pratique l'épistémicide, qui consiste à mépriser les connaissances et la sagesse qui ne sont pas conformes au modèle culturel de l'occident, manifeste une haine viscérale des musulmans, des juifs et des personnes de couleur, fondée sur des stéréotypes et des préjugés, s'oppose à la laïcité et favorise le théisme politique et la confessionnalisation chrétienne de la politique, de l'éducation et de la culture, est contraire à l'évolution et défend la théorie créationniste.

Elle a changé la carte politique et religieuse des États-Unis, elle est en train de changer celle de l'Amérique latine et de faire de même en Europe. L’entrée en politique du mouvement religieux fondamentaliste allié à l'extrême droite menace gravement l'autonomie de la politique et de la culture, la sécularisation de la société, la séparation entre État et religion et l'autonomie de la science. Pendant ce temps, elle démontre une insensibilité totale aux phénomènes de pauvreté et d'injustice structurelle, aux dictatures militaires, aux inégalités croissantes fondées sur des raisons d'ethnicité, de culture, de religion, de sexe, de classe sociale, d'identité sexuelle, etc.

Devrons-nous vivre avec cette Internationale de la haine et ses manifestations violentes ? Certainement pas. Je suis d’accord avec l'intellectuelle Carolin Emcke sur la nécessité de prendre l'engagement de louer ce qui est différent et « impur », de reconnaître d'autres types d'hommes et de femmes, de faire attention à la haine avant son déclenchement pour éviter ses conséquences mortelles, avoir le courage de la combattre comme condition préalable à la défense de la démocratie, d'adopter une vision ouverte de la société et d'exercer une capacité d'ironie et de doute dont les générateurs de haine font totalement défaut, enfermés dans leurs convictions absolues.

 [1] Titulaire de la Chaire de théologie et sciences des religions de l'Université Carlos III de Madrid. Secrétaire de l’Asociación de Teólogas y Teólogos Juan XXIII.

Source : https://elpais.com/elpais/2019/12/26/ideas/1577380016_285055.html

 

Traduction par Lucienne Gougenheim