Joelle Bourgeat est membre de la Communauté Chrétienne dans la Cité (de Paris), affiliée au Réseaux du Parvis. Elle est adhérée depuis 2008 à ADR-BWA (Association pour le Développement de la Région des BWA) créée par des Maliens originaires de cette Région et elle raconte la différence de mentalité entre les habitants des villages qu'elle visite au Mali et nos mentalités européennes plutôt d'ong.

De retour du Mali…(23 janvier-9 mars 2016)

Je suis de retour du Mali, en effet, après 7 semaines partagées entre Bamako, Mandiakuy et San.
Tout d’abord je vous dirais que, sur place, je n’ai jamais éprouvé de sentiment d’insécurité, même si j’ai plusieurs fois ressenti plus de crainte et de prudence chez un certain nombre de Maliens. Notamment à San où, de fait, un incident s’est produit pendant le week end où je m’y trouvais. Un soldat en route pour Gao, au Nord, a quitté ses camarades et s’est retranché dans l’enceinte de la paroisse où j’étais logée. Il ne fut pas facile de le retrouver et les bruits les plus fantaisistes coururent à la sortie de la messe sur son évasion. Il aurait prétendu que ses camarades étaient décidés à lui faire la peau avant d’arriver à Gao. Le plus probable est qu’il ait pris peur et qu’il ait déserté car, dans le nord, la situation de l’armée est très difficile et les soldats souvent en danger.
L’essentiel de ma mission était à Mandiakuy où, depuis 5 ans maintenant, notre Association accompagne deux Groupements de femmes dans la production de confiture et compote de mangues ainsi que de coulis de tomate pasteurisé. Elles ont produit plus de 700 bocaux de mangues et une centaine de coulis en 2015. Ils étaient presque tous vendus à mon départ.
Cette fois-ci je m’y rendais avec deux nouveaux membres d’ADR-BWA France qui vont prendre ma relève dans le suivi des actions de terrain de ADR-BWA Mali Tominian, une nouvelle association voulue par quelques responsables de Mandiakuy, pour poursuivre ce qui a déjà été initié et, surtout, étendre les projets de développement à d’autres localités du Cercle. Peu à peu cette entité se met en place. Ce sera long car la notion de bien commun et de bénévolat, dans un contexte de vie difficile, ne va pas de soi. Mais ces initiatives, par les Bwa eux-mêmes, sont, à long terme, les seules porteuses d’un développement réel et pérenne.
Cela fait dix ans maintenant que je me rends en Afrique et cinq ans que je vais au Mali chaque année, plusieurs semaines voire plusieurs mois, Aujourd’hui je voudrais vous partager quelques-unes de découvertes et de mes convictions.


Tout d’abord, et cela peut paraître paradoxal, la toute première est que, en matière de développement, L’argent n’est pas la solution ! Des milliards d’euros ont en effet été déversés dans le pays ces dernières décennies et quand on voit le résultat… Alors, pourquoi ? Au fil des ans j’ai pris conscience qu'un développement durable doit absolument et véritablement émaner des intéressés eux-mêmes. Et cela demande du temps, de la patience, de la persévérance, de la foi même. Pas de l’argent ! Au moins dans un premier temps. Ecouter les hommes et les femmes parler de leurs activités, s’intéresser à la façon dont ils s’y prennent, aux difficultés qu’ils rencontrent, et aussi les amener à réfléchir sur leur organisation, sur les éventuelles solutions disponibles. Sur leurs richesses aussi, très réelles, en matière d’énergie, de courage et de savoir-faire, Tout ceci n’est pas spectaculaire. Et cela cadre très rarement avec les programmes des ONG, pourtant pleines de bonne volonté et d’argent,mais qui ne font pas le détour par ce travail de lent « accouchement » par la population de ce dont elle a vraiment besoin, de ce qu’elle désire vraiment, de ce qu’elle est vraiment prête à adopter. Dans un pays où le temps ne s’écoule pas à la même vitesse que chez nous, où la palabre et la négociation sont incontournables (et peuvent nous sembler quelquefois interminables…) il faut du temps pour être vraiment sûr qu’une société, un village, un groupe ont livré le fond de leur pensée et de leurs aspirations et seront majoritairement en accord pour mettre en œuvre ce qui aura finalement été décidé. Je suis souvent perplexe sur les différentes structures chez nous qui proposent des sessions pour, entre autres, apprendre à « monter un micro projet ».N’est-ce pas trop souvent se faire plaisir et mettre la charrue avant les bœufs ? A quand l’organisation de sessions ouvrant prioritairement aux techniques de « l’écoute positive » des populations que l’on souhaite accompagner, la découverte conjointe de leurs points forts, la réflexion commune sur leurs pratiques, les difficultés rencontrées et les éventuelles nouvelles techniques à disposition. Avec leurs avantages et leurs contraintes. L’appréciation de la capacité d’innovation en fonction des données culturelles, sociales, religieuses…
En matière de développement économique, l’argent ne peut venir que dans un second temps. Mais, quand il vient du « Nord » c’est difficile à faire admettre, tant l’image de l’argent facile et abondant en Occident et le réflexe de l’assistanat sont profondément ancrés dans l’esprit des populations… Cela fait des années que je répète aux gens de Mandiakuy, avec un petit brin d'humour provocateur, « la force et la richesse d’ADR-BWA c’est que nous n’avons pas d’argent ». Et d’insister sur le fait que nous ne recevons aucune subvention et que, en dehors des cotisations (une vingtaine) et de quelques dons, le peu que nous avons est chèrement gagné à l’occasion de Marchés de Noël, où nous exposons les créations d’artistes et d’artisans qui n’ont plus de clients du fait de la situation dans leurs pays. Je ne suis pas sûre de les avoir convaincus et certains membres d’ADR-BWA Mali Tominian ne me cachaient pas que, dans la mesure où ils étaient en relation avec nous, cette réputation d’argent abondant et « automatique » les poursuivrait aussi et que ceux qu’ils allaient accompagner croiraient plutôt qu’ils en recevaient mais qu’ils le « mangeaient » plutôt que de les en faire bénéficier… Dur, dur !
L’autre frein au développement, et de notoriété publique, ce sont la corruption et l’impunité. A ce sujet la situation du Mali ne s’est pas améliorée, si elle n’a pas empiré… Pendant mon séjour plusieurs scandales ont éclaté. Notamment un milliard de FCFA (~1,500 000 €) destiné à verser des primes aux soldats en poste dans le Nord et qui ont été détournés par quelques généraux au niveau du Ministère . Certains de ces derniers ont bien été arrêtés mais pour combien de temps ?...
Et ce qui est plus inquiétant, c’est que l’exemple vient maintenant du plus haut de l’Etat. Le nouveau Président, élu avec plus de 77% des voix, sur un programme notamment de lutte contre la corruption, a récemment proposé qu’un crédit de 4 milliards de FCFA (~6 100 000€) soit distribué aux 13 anciens premiers ministres (dont lui-même) pour « services rendus » à la nation. Alors qu'ils ont toujours été largement rémunérés. Un scandale qui a soulevé un vrai tollé (mais cela le fera-t-il reculer?), quand on sait que, notamment, le pays manque cruellement d’écoles et de professeurs, que ceux-ci sont mal payés, que les forces de police sont sous équipées et de matériel obsolète, souvent sans crédit même pour mettre de l’essence dans leur véhicule pour assurer la sécurité… Quant aux ministres qui se sont opposés à ce projet, ils ont été congédiés sans tarder !
La corruption et l'impunité ne sont cependant pas les seuls freins au développement.
J'ai en effet eu l'occasion d'animer une journée de formation à la gestion de base (cahiers de trésorerie et de stocks) pour des jeunes femmes qui avaient reçu une formation technique dans la transformation de produits agricoles (jus de fruits, confitures, légumes et fruits séchés, fonio précuit...). Lors de la pause déjeuner elles me firent part de la principale difficulté qu'elles éprouvaient dans la mise en œuvre et la réussite de leur activité : le « social ». Kès aco ? Le « social », c'est toute cette pression socio-culturelle qui fait que, quand vous êtes sollicité pour une personne malade (il est vrai que les problèmes de santé sont une calamité car il n’y a pas de sécurité sociale au Mali !), un mariage, des funérailles, un besoin financier quelconque de la part de quelqu'un de votre famille, vous ne POUVEZ PAS DIRE NON. Même si, en donnant l'argent demandé, vous mettez en péril votre activité : vous avez de l'argent, votre entourage ne veut pas le savoir, vous devez le donner si on vous le demande. Sinon vous êtes immédiatement mis au ban de la société et, surtout quand vous êtes une femme, cela est intolérable. Quelle solution alors ? Très souvent la parade (mais qui ne résout qu'une partie du problème) est d'acheter une parcelle et de commencer à y construire une maison. Rangée de briques après rangée de briques, au fur et à mesure des rentrées financières, pour être sûr que l'on ne pourra pas revenir en arrière. N’y aurait-il pas moyen d’imaginer un produit financier « spécial entrepreneur » qui ait un « effet cliquet » pour que la partie fonds de roulement de leur activité soit intouchable en dehors de celle-ci ? Non plus à l'affaire. Elles s'estimeraient deshonorées si, à l'occasion d'un mariage, d'une fête, elles ne portaient pas la tenue la plus élégante, la coiffure et le maquillage les plus recherchés. Et cela coûte cher ! Au détriment de la pérennité de leur activité.
Un mot pour finir des investissements dans les équipements de base et les infrastructures. Il est certain que la construction d'une école, d'un centre de santé, le creusement d'un puits ou d'un forage représentent beaucoup d'argent et répondent à un besoin impérieux des populations. Mais, là encore, il convient de s'assurer que, même si c'est dans la proportion d'un cheval-une alouette, les bénéficiaires apportent leur quote part à ces projets et qu'ils répondent bien à un vrai besoin. De première main j'ai appris qu'un groupe de mamans d'élèves avaient bataillé dans un village pour obtenir de leur sponsor français une cantine pour leur école. Ce qui semblait une bonne idée pour ceux qui habitaient loin et ne pouvaient rentrer déjeuner chez eux. Or, un an plus tard, celle-ci était complètement désertée: les mêmes mamans, qui contre petite rétribution, nourrissaient les élèves, avaient tout fait pour les détourner de la cantine et garder leurs petits pensionnaires...
Et cependant il ne faut pas baisser les bras. ADR-BWA fait partie de ces associations qui, comme le colibri de la fable, « fait sa part » en transportant ses gouttes pour éteindre l’incendie. Nos actions ne sont pas spectaculaires mais si beaucoup de colibris s’y mettent, le Mali pourra (peut-être?) progressivement décoller. Il y faut infiniment de patience. De la foi. Il y faut aussi sans doute l'amour de ce pays…