Synthèse du débat d'’actualité du 24 juin 2016 (session d’été 2016)

En janvier 2016, la société civile représentée au Conseil de l’Europe, à travers 325 organisations internationales non gouvernementales (OING) avec le statut participatif, a dit NON à la dilution de nos valeurs, observée et vécue par une grande partie de la société civile qui ne se reconnait plus dans plusieurs décisions politiques des gouvernements face à l’afflux de migrants.

Le 24 juin 2016, lors de sa réunion plénière d’été, la Conférence des OING du Conseil de l’Europe a organisé un débat d’actualité entre les ONG nationales grecques, les ONG internationales, les représentants du Comité des Ministres, de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, du Représentant spécial du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe pour les migrations et les réfugiés, etc.

Si l’Ambassadrice de la Norvège, Astrid Helle, Présidente du Groupe de rapporteurs sur la Démocratie du Comité des Ministres, pense qu’il peut y avoir beaucoup de divergences entre la société civile organisée et les représentants de gouvernements, elle pointe un élément crucial commun à l’ensemble des Piliers du Quadrilogue du Conseil de l’Europe : le respect de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Pour guider les Etats membres à mettre en place des politiques migratoires et d’intégration dignes des droits de l’Homme, le Conseil de l’Europe dispose d’un « arsenal » d’instruments juridiques et de plans d’action. Ainsi, il est conscient du fait que la violence subie par les femmes lors de déplacements migratoires, tout comme l’exploitation sexuelle des enfants sont des problèmes majeurs. Tout comme celui des enfants nés durant le déplacement de leurs mères et qui ne peuvent pas être enregistrés. Cette question est en train d’être suivie.

 

L’assistance et le conseil aux Etats membres est une des fonctions du Représentant spécial du Secrétaire Général pour les migrations et les réfugiés. L’Ambassadeur Tomáš Boček, qui occupe cette fonction, s’applique à améliorer la coopération entre l’Union européenne, l’ONU, l’OCDE et le Conseil de l’Europe. Pour lui, les ONG contribuent, en tant que « Public Watchdog », d’une manière très significative à son travail. Il a un grand respect pour les ONG qui font un travail énorme pour la mise en œuvre et le suivi des normes juridiques et, par là-même, favorisent l’accès des réfugiés à leurs droits. L’Ambassadeur a choisi la protection des enfants migrants comme une des priorités de son mandat.

Sahiba Gafarova, Présidente de la Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), encourage la Conférence des OING à se rendre plus visible auprès de l’APCE. Elle souligne que les Parlementaires pourront mieux agir et mieux protéger les défenseurs des droits de l’Homme, s’ils détiennent les informations importantes… Il faut résorber le fossé idéologique entre les ONG et les autorités publiques nationales.

La Présidente de la Conférence des OING, Anna Rurka, a réitéré le besoin de développer les mécanismes garantissant l’indépendance des ONG dans leurs rapports aux autorités publiques. Elle a insisté pour que le Comité des Ministres et l’APCE se prononcent sur le « délit de solidarité » présent dans la législation de plusieurs Etats membres. La Directive 2002/90/CE de l’Union européenne du 28 novembre 2002, définissant l'aide à l'entrée, au transit et au séjour irrégulier, donne aux Etats membres le choix d'exempter l'aide aux migrants de sanctions pénales, lorsqu’il ne s’agit pas d’une activité lucrative. De nombreux pays pratiquent le délit de solidarité et sanctionnent aussi les ONG qui cherchent à rendre les conditions de survie des migrants plus humaines. Annica Ryngbeck, représentante la Plateforme sociale, a insisté sur le droit des ONG à délivrer l’aide aux personnes vulnérables, y compris les migrants en situation irrégulière1. En Grèce, à Lesbos, des bénévoles ont été inculpés pour cette raison alors qu’ils voulaient juste venir en aide.

Une lettre ouverte a été adressée à la Commission européenne, signée par 104 ONG très critiques, condamnant la politique de l’Union européenne, entre autres sur son accord avec la Turquie2. La Conférence des OING et l’Assemblée Parlementaire ont été les seules institutions du Conseil de l’Europe à émettre des réserves à l’accord entre l’Union européenne et la Turquie compte tenu des conséquences qu’il a engendrées sur le destin des réfugiés.

Toute politique doit être fondée sur les droits qui englobent la dignité humaine, l'égalité des sexes et l'égalité pour tous, le respect de la diversité, la solidarité, la liberté, la justice sociale, la durabilité, la transparence et la démocratie participative, et qui sont tournés vers une société inclusive. En sachant que le nombre de migrants en situation irrégulière va augmenter en Europe, il est indispensable de donner à ces personnes le droit aux prestations leur permettant de satisfaire leurs besoins fondamentaux. A ce titre, les travailleurs sociaux doivent pouvoir dispenser ces services, sans risque de sanction de la part des autorités. Il faut assurer un cadre légal permettant aux ONG de fournir de l’aide sans se rendre « coupables »… Le Conseil de l’Europe a un rôle important à jouer en ce qui concerne la revendication d’une meilleure protection des OING et de la société civile.

Lora Pappa, directrice de METAdrasi3, dénonce la procédure de demande d’asile extrêmement lente en Grèce, faute de personnel et par manque chronique d’interprètes qualifiés, indispensables pour garantir l’accès aux droits. Certaines ONG utilisent des interprètes non fiables et cette pratique peut mettre en danger les personnes dans les régions où de nombreux passeurs opèrent. De plus, la priorité donnée aux ressortissants syriens, et aux « cas de Dublin » est discriminatoire vis-à-vis des ressortissants d’autres nationalités.

Les incertitudes induites par les nouvelles politiques visant à cadrer l’afflux migratoire sont à la base de grandes tensions. Il existe un grand problème d’insécurité pour les réfugiés comme pour les ONG qui opèrent en Grèce. La situation change chaque jour, l’état des personnes accueillies s’aggrave surtout depuis le 20 mars 2016 (date de l’entrée en vigueur de l’accord Union européenne-Turquie), car les réfugiés n’ont pas le droit de quitter les îles et y sont ainsi bloqués (les îles les plus concernées sont Lesbos, Samos et Chios). Les enfants non accompagnés y résident dans des conditions d’insécurité graves et sont victimes de viols et de suicides, surtout la nuit. Les ONG locales sont exclues de certains financements internationaux (par exemple ceux délivrés par la DG ECHO4 de la Commission européenne), car pour y avoir accès, il faut avoir un « framework partnership agreement », établi entre les ONG d’au minimum 3 pays différents. Les associations nationales et locales qui ont toujours travaillé en Grèce ne remplissent jamais ces conditions. Ce sont des ONG étrangères qui viennent travailler en Grèce avec les fonds ECHO. Cependant, ces ONG ne connaissent pas le cadre légal grec, ni les réseaux nécessaires pour travailler de pair avec la population locale. METAdrasi a perdu 10% de son personnel durant ces derniers mois. Cela résulte directement de l’arrivée des ONG internationales qui offrent des conditions d’emploi et des salaires plus élevés que ceux que les ONG nationales peuvent proposer. Lora Pappa termine son propos en disant qu’elle apprécie beaucoup l’action du Conseil de l’Europe qui est, pour elle, la « conscience » de l’Europe et dont le soutien est irremplaçable.

L’Ambassadeur Van den Reeck, responsable de la collaboration internationale de l’ONG grecque Smile of the Child5, attire l’attention sur la situation de 57.000 migrants « stoppés » en Grèce pour cause de fermeture des frontières. En Grèce, on déplore 10.000 disparitions d’enfants… De nombreux enfants se sont enfuis car ils sont détenus dans des conditions déplorables, certains sont, ensuite, victimes de trafic. Il est essentiel de prévoir une aide à long terme et ne pas se donner bonne conscience en se disant qu’une tente et un peu de nourriture suffisent.

Mauro Striano, représentant de la Fédération Européenne d’Associations Nationales Travaillant avec les Sans-Abris (FEANTSA), souligne que les services qui s’occupent des sans-abris reçoivent plus de soutien financier pour les sans-abris que pour les migrants sans-abris. Dans un contexte de crise de la migration, cela pose une question éthique. Le manque de place dans des centres d’hébergement pour les migrants sans abri empêche l’accès à d’autres droits les plus basiques comme le droit à l’information. Les mesures proposées par les politiques publiques ne tiennent pas compte du genre et de l’âge de la personne. Ceci concerne aussi bien les migrants qui ont obtenu une protection internationale que les réfugiés dont la demande d’asile a été refusée. L’aide humanitaire internationale ne fait pas de différence entre ces deux statuts. Il y a un problème d’urgence. En 2014, rien qu’en France, 23.000 demandeurs d’asile étaient sans abri. La qualité des services baisse forcément sous le poids d’une telle urgence. De plus, cela engendre des problèmes sur le marché du logement. Les « marchands de sommeil » et les structures hôtelières, aussi utilisées par les institutions publiques, font exploser des prix. La qualité et la sécurité dans ces structures ne sont plus garanties ; les discriminations sont nombreuses et les pauvres en sont les victimes.

Richard Fischer, représentant de la Conférence des Eglises européennes, témoigne de l’engagement des églises aux côtés des ONG pour une Europe qui protège et accueille. Il informe du « Mapping Migration », un projet d’une commission des Eglises spécialement instaurée en Europe. Ce projet actualise les fiches techniques de l’intégration des migrants en Europe et analyse la manière dont les églises répondent au défi de la migration.

Recommandations concluantes issues de la présentation des intervenants et de l’échange en Assemblée plénière de la Conférence des OING:
Evaluer et aborder les besoins des migrants, réfugiés et demandeurs d’asile dans une approche globale, traitant dans leur ensemble les besoins fondamentaux et l’aide proposée (besoin de sécurité, santé physique et mentale, etc.) ;
Financer l’infrastructure permettant un hébergement digne pour les réfugiés qui restent suffisamment longtemps en attendant la décision relative au droit d’asile ;
Garantir aux migrants l’accès à leurs droits et à des procédures équitables ;
Décriminaliser l’aide humanitaire et l’aide aux personnes vulnérables en situation irrégulière dans tous les Etats membres du Conseil de l’Europe ;
Favoriser et faciliter l’inclusion des ONG locales dans des actions financées par les fonds internationaux (DG ECHO par exemple) ;
Garantir la coordination et l’échange des informations entre ONG internationales et locales afin que les ONG internationales proposent leurs services en complément (suppléance) de ce qui existe et pas en replacement (substitution) des services proposés par les ONG nationales ;
Renforcer la collaboration entre les ONG et les autorités publiques grecques ;
Reconnaître le rôle que peuvent jouer les services pour sans-abris et impliquer ceux-ci dans les mesures d’accueil des réfugiés ;
Mettre en place des mesures d’accompagnement à l’accès au logement pour les nouveaux réfugiés ;
Développer des politiques d’accueil ainsi que des instruments de soutien pour l’investissement dans des logements de qualité à des prix abordables ;
Se pencher sur l’aspect humanitaire mais agir aussi sur les causes : conflits armés, importation d’armes en constante augmentation ;
Valoriser l’action des ONG russes qui exercent une pression sur les autorités pour améliorer la situation des réfugiés en Russie ;
S’appuyer sur les compétences des femmes migrantes dans la résolution de conflits et dans la réconciliation ;
Renforcer la bientraitance institutionnelle à l’égard des forces de police qui, dans 21 pays, rencontrent toutes les mêmes problèmes d’incompréhension de la part de leurs gouvernements vis-à-vis de leurs conditions de travail.